(1856, Jacob Terrell) Un homme noir si fort que douze contremaîtres ne purent le maîtriser. Dans les archives fragiles et humides des plantations du nord-est de l’Alabama, figure une entrée si extraordinaire que les historiens peinent encore à la classer. Daté de mars 1856, ce rapport décrit un incident survenu à la plantation Harrington, où douze contremaîtres blancs, armés, entraînés et légalement autorisés, furent incapables de maîtriser un seul esclave.

1856, Jacob Terrell : l’homme noir que douze contremaîtres n’ont pas pu maîtriser

Dans les archives jaunies et rongées par l’humidité du tribunal du comté de Jackson, Alabama, un document de quatre pages, daté du 14 mars 1856, défie encore aujourd’hui l’imagination des historiens.

Écrit d’une plume nerveuse par le planteur Edmund Harrington lui-même, il relate un événement si extraordinaire qu’il fut d’abord considéré comme une exagération de propriétaire paniqué, avant d’être corroboré par les témoignages de trois contremaîtres et le journal intime du shérif local.

Ce jour-là, sur la plantation Harrington, située près de Scottsboro, un esclave de trente-deux ans nommé Jacob Terrell a tenu tête, seul et sans arme, à douze hommes blancs armés de fouets, de pistolets et de chaînes.

L’incident débuta à l’aube. Jacob, forgeron de la plantation, mesurait un peu plus de deux mètres et pesait, selon l’estimation du médecin qui l’examina plus tard, près de cent trente-cinq kilogrammes de muscles sculptés par quinze années de travail à la forge et au maniement des lourdes barres de coton.

Ce matin-là, il refusa d’obéir à l’ordre de charger seul une charrette de dix balles de coton, tâche habituellement confiée à quatre hommes. Le premier contremaître, un certain Caleb Mooney, leva son fouet.

Jacob le saisit au vol, le brisa net sur son genou et, d’un revers de main, envoya Mooney rouler dans la poussière. Ce fut le signal.

En quelques minutes, onze autres contremaîtres accoururent, certains armés de revolvers, d’autres de chaînes ou de barres de fer. Harrington, qui assistait à la scène depuis la véranda, ordonna qu’on « mate cette bête ». Ce qui suivit tient du cauchemar pour les assaillants.

Jacob, torse nu, le corps luisant de sueur, para les coups de fouet avec ses avant-bras, arracha une chaîne des mains d’un homme et s’en servit comme d’une massue.

Deux contremaîtres furent projetés contre le mur de la forge, un troisième eut l’épaule démise, un quatrième perdit quatre dents sous un coup de poing. Les revolvers furent bien sortis, mais aucun ne tira : la mêlée était si confuse que les blancs craignaient de s’atteindre entre eux.

Au bout de dix-sept minutes (temps précisément noté par Harrington, qui regardait sa montre de poche), les douze hommes gisaient au sol, épuisés, ensanglantés ou assommés, tandis que Jacob se tenait debout au milieu d’eux, respirant calmement, les mains pendantes.

Harrington, terrifié, envoya chercher la milice de Scottsboro. Quarante hommes armés arrivèrent en fin d’après-midi. Jacob ne résista pas davantage : il se laissa passer les fers aux chevilles et aux poignets, puis fut conduit à la prison du comté.

Le planteur, dans son rapport au juge, réclama la peine de mort immédiate pour « rébellion caractérisée et tentative d’homicide sur personnes blanches ». Le juge, cependant, refusa d’ouvrir un procès sans enquête. Le shérif, un homme pragmatique nommé Josiah Tate, nota dans son journal : « J’ai vu l’individu.

Il est plus grand et plus fort que n’importe quel homme que j’aie jamais vu, blanc ou noir. Douze contremaîtres n’ont pas suffi. Si on le pend, il faudra une potence spéciale. »

Ce qui rend l’histoire encore plus troublante, c’est ce qui arriva ensuite. Durant les six semaines où Jacob Terrell fut détenu, aucun fouet ne fut levé contre lui. Les gardiens, impressionnés, lui apportaient double ration de nourriture.

Des rumeurs coururent même que certains blancs du comté, secrètement abolitionnistes ou simplement admiratifs, glissaient des limes dans son pain.

Le 28 avril 1856, profitant d’une nuit d’orage, Jacob plia les barreaux de sa cellule (littéralement : les traces de torsion sont encore visibles sur le métal exposé au musée de Scottsboro) et disparut. On ne le revit jamais dans l’Alabama.

Les années suivantes, des récits fragmentaires parlèrent d’un géant noir travaillant comme forgeron libre à Cincinnati, puis comme débardeur à Chicago sous le nom de John Freeman. D’autres affirmèrent qu’il avait rejoint les marais de Dismal Swamp et guidait des fugitifs vers le nord.

Aucune preuve formelle n’a jamais été retrouvée. Seul le rapport Harrington, conservé dans les archives de l’État, demeure, avec ses phrases hachées et son ton mêlé de rage et de crainte : « Cet homme n’est pas humain.

Il est la preuve vivante que nous avons créé quelque chose que nous ne contrôlons plus. »

Aujourd’hui, les historiens débattent encore de la portée de l’événement. Pour certains, Jacob Terrell incarne la résistance physique ultime, le corps esclave devenu arme invincible. Pour d’autres, il est le symbole terrifiant, aux yeux des planteurs, de ce que pouvait produire des décennies de sélection forcée pour la force brute.

Dans les écoles de l’Alabama, on enseigne rarement cette histoire ; elle reste confinée aux cercles universitaires et aux visites guidées du petit musée de Scottsboro, où l’on montre encore la chaîne brisée et les barreaux tordus.

En 2023, une descendante supposée de Jacob Terrell, une professeure d’histoire à Atlanta nommée Aisha Freeman, a fait analyser l’ADN des objets exposés. Les résultats sont en attente. Elle a déclaré aux journalistes : « Peu importe s’il était mon ancêtre ou non.

Ce qui compte, c’est qu’un seul homme a fait trembler tout un système, avec rien d’autre que sa force et sa dignité. » Et quelque part, dans les silences humides des archives, Jacob Terrell, l’homme que douze contremaîtres n’ont pas pu maîtriser, continue de se tenir debout.

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