Internet raffole des scandales, surtout quand il s’agit d’une star comme Kid Rock. Cet homme a bâti son empire sur la rébellion, le courage de la classe ouvrière et des hymnes provocateurs et sans concessions, adressés à quiconque ose lui dicter sa conduite. Alors, quand les réseaux sociaux se sont enflammés début novembre avec des titres à sensation annonçant que Kid Rock avait annulé toutes ses dates de tournée new-yorkaises pour l’année suivante, en déclarant soi-disant : « Désolé New York, mais je ne chante pas pour les communistes », la réaction a été immédiate et explosive.
Les fans ont exulté. Les critiques se sont déchaînés. Les promoteurs ont paniqué. Et les journalistes, comme toujours, se sont efforcés de démêler le vrai du faux : histoire vraie, satire ou quelque chose de plus sombre ?
Car si c’était vrai, ce n’était pas juste un caprice de célébrité. C’était un véritable séisme culturel, la collision de la musique, de la politique et du mythe de la liberté d’expression en Amérique.
La première trace de cette histoire est apparue sur une petite page Facebook d’extrême droite, connue pour ses mèmes ironiques. Une image granuleuse de Kid Rock sur scène est apparue, accompagnée de la citation suivante :
« Je ne chanterai jamais pour des communistes. Désolé, New York, vous êtes rayés de la liste.»
En quelques heures, la publication a été capturée d’écran, modifiée et partagée sur des dizaines de plateformes. Les fils de discussion Twitter (désormais X) se sont enflammés. Des créateurs TikTok ont ​​publié des vidéos analysant ce prétendu « boycott ». Certains ont même montré de fausses captures d’écran de billets de concert avec de grandes étiquettes rouges « ANNULÉ » dans les salles new-yorkaises.
Puis, les agrégateurs d’actualités s’en sont emparés : « Kid Rock annule ses concerts à New York pour cause de divergences politiques », titrait un article ; « Le chanteur considère New York comme communiste », affirmait un autre.
Le lendemain matin, #SorryNYC était en tendance.
Sauf qu’il y avait un problème : aucune confirmation officielle nulle part. Aucun communiqué de presse. Aucune déclaration de la direction. Aucune mise à jour du calendrier de la tournée. Le site officiel de Kid Rock n’indiquait aucune date à New York.
En creusant un peu plus, les journalistes ont fait une découverte surprenante : l’affirmation provenait d’une publication satirique, qu’il ne faut jamais prendre au pied de la lettre. Mais la satire, dans la chambre d’écho de l’indignation moderne, reste rarement satirique bien longtemps. En moins de 24 heures, Internet a transformé la parodie en une vérité établie, faisant d’une simple blague un véritable phénomène culturel.
Pour comprendre pourquoi des millions de personnes ont cru à cette fausse annulation, il faut comprendre Kid Rock lui-même.
Depuis plus de vingt ans, Robert James Ritchie, le rockeur-rappeur originaire de Détroit, est un paradoxe ambulant : un musicien millionnaire qui se drape dans l’anti-élitisme, un patriote autoproclamé qui proteste contre « le système » tout en remplissant des stades grâce au sponsoring d’entreprises. Il a insulté des présidents, ridiculisé des célébrités et arboré son identité politique comme un tatouage.
De sa campagne sénatoriale provocatrice de 2017 à son fameux « Fuck Oprah » dans un bar de Nashville, Kid Rock s’est imposé comme la voix rebelle et anticonformiste d’Amérique centrale. Alors, quand quelqu’un a affirmé en ligne boycotter « New York libérale », cela n’a pas paru incroyable. C’était tout à fait plausible.
Et c’est là toute la magie – et le danger – des canulars numériques d’aujourd’hui : la plausibilité prime sur la preuve.
Dès le lendemain, le canular avait pris des allures de film. Des mèmes montraient Kid Rock sur scène, guitare drapée du drapeau américain à la main, scandant des slogans sur la « liberté ». D’autres inséraient de faux bandeaux d’information sur les écrans de CNN : « Kid Rock refuse de se produire dans le New York communiste.»
Les animateurs radio débattaient : s’agissait-il d’un « patriotisme courageux » ou d’une « performance artistique embarrassante » ? Les commentateurs conservateurs l’ont salué comme un « acte de résistance contre la tyrannie ». Les commentateurs libéraux, quant à eux, l’ont balayé d’un revers de main, le qualifiant de « simple polémique fabriquée de toutes pièces pour alimenter les guerres culturelles ».
Mais quelles que soient leurs opinions politiques, les gens en parlaient – ​​sans cesse. Pour Kid Rock, la rumeur avait déjà accompli quelque chose d’inestimable : la replacer au cœur du débat le plus houleux des États-Unis.
L’idée que des musiciens prennent position politiquement n’est pas nouvelle. Des chansons engagées de Bob Dylan à l’activisme de Rage Against the Machine, les artistes ont depuis longtemps fusionné musique et message.
Mais dans le climat polarisé d’aujourd’hui, même l’illusion d’une prise de position peut définir une carrière.
Kid Rock occupe une place à part : à la fois artiste et figure de proue de l’engagement politique. Ses fans, issus en grande partie de la classe ouvrière et fiers de leur patriotisme, le perçoivent comme un homme qui « dit les choses comme elles sont ». Pour eux, « Je ne chante pas pour les communistes » n’avait rien d’offensant ; c’était un vent de fraîcheur. C’était un slogan, un cri de ralliement, un symbole d’authenticité dans un monde dont ils se sentent de plus en plus éloignés.
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